Une empreinte de l'ombre par la lumière

Le photogramme : la photographie sans appareil

Emprunté aux pionniers de la photographie et aux surréalistes comme Man Ray, le photogramme est une image photographique sans appareil, obtenue simplement en posant des objets sur le papier photosensible. Sous l’action des sels d’argent, la lumière devient noire et l’ombre blanche*. C’est une manière de dessiner avec la lumière, pour saisir et s’émerveiller des formes du vivant, composer des « tableaux » en agençant des objets (eau, encre, fragments végétaux…). A la révélation de l’image apparaissent des formes organiques ou cosmiques, des jeux de transparences et de silhouettes, empreints de poésie et d’onirisme.

La technique révèle les contours, la transparence des objets, mais non la perspective, ni lacouleur. Les sels d’argent permettent d’avoir une grande précision, une grande finesse dans les détails. Le photogramme laisse une large place à l’expérimentation, à la surprise et au hasard. Chaque épreuve est unique.

Je réalise ces photogrammes sur papier argentique (noir et blanc) et en tirage cyanotype. Dans ce cas, je crée moi-même le papier photosensible en appliquant la solution au pinceau. Le cyanotype est un procédé ancien, l’un des premiers procédés photographiques, il offre des épreuves d’un lumineux bleu de Prusse.

*En règle générale. Ensuite, des techniques et astuces permettent de jouer avec les effets.


Dessiner avec la lumière

Man Ray décrivait ses photogrammes comme une sorte de « peinture avec de la lumière ». Moholy-Nagy disait à propos des siens : « Le support photosensible est une tabula rasa, une page vierge sur laquelle le photographe peut écrire avec la lumière, tout comme le peintre travaille souverainement à sa toile avec ses outils : le pinceau et les pigments ».


Pour la petite histoire

Des pionniers...

Le photogramme est utilisé dès les premiers balbutiements de la photographie, à partir de 1839. Les pionniers (Niépce, Daguerre, Talbot ou Bayard) plaçaient déjà des objets sur le papier pour tester sa réactivité.

« Dessins photogéniques » : l’expression est de William Henri Fox Talbot, scientifique et artiste, inventeur d’un des premiers procédés photographiques en 1839. Il nommait photogenic drawings les photogrammes végétaux qu’il réalisait et qu’il a publiés dans son livre The Pencil Of Nature. C’est le premier livre illustré de photographies et publié dans le commerce.

...A l'avant-garde...

Dans les années 1920, les artistes de l’avant-garde réinventent la technique et lui donnent un nom : photogramme, ou rayogramme. Deux mouvements lui sont associés : Dada et le surréalisme, ainsi que trois noms : Christian Schad, Man Ray et Moholy-Nagy. Les deux premiers, peintres à l’origine, recherchaient une technique permettant de s’affranchir des règles de composition et de création en vigueur, pour voir les choses familières perdre leur aspect connu.

...Et aux contemporains

A l’ère numérique, le photogramme semble désuet et hors de propos. Pourtant, les voies expérimentales qu’il offre continuent d’inspirer les artistes contemporains, comme Patrick Bailly-Maître-Grand, dont je trouve l'oeuvre particulièrement inventive, étonnante et poétique. Ils dessinent des alphabets en squelettes d’alouettes, révèlent la délicate transparence des fioles et récipients en verre soufflé ou les ondes de l’eau, subliment la silhouette des araignées...